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23 mars 2017 4 23 /03 /mars /2017 20:17

 Comment nommer ce que nous vivons actuellement dans la société haïtienne ? Nous assistons à la déliquescence généralisée de l’ordre du vivre-ensemble vers une carnavalisation des pratiques sociales où les symboles sont dévoyés et les institutions d’ordre et de lien sont remplacées par la pagaille devenant paradoxalement forme de vie sociale, structure de nouvelles manières de faire société. Ce constat ne procède pas de la nostalgie ; il entend mettre en relief le présupposé anthropologique d’un souci de bien-être qui sous-tend le fait de vivre ensemble ou de faire société. A présent, ‘une seule voix, on déplore le manque de sens et de cohérence dans ce projet d’être ensemble. Nous devons la comprendre comme le symptôme d’un projet de vivre ensemble avorté ou réussi.

 

I

La société haïtienne habite des groupes d’hommes et de femmes, appelé à tort « élite économique », « élite intellectuelle » et « élite politique », qui se donnent pour vocation de pourvoir la société de biens et de services qui lui seraient indispensables, de lui ouvrir des formes de visions du monde et de la société qui promeut le bien-être de chacun et de tous, de mettre en place les structures capables d’assurer ce bien vivre en commun.

Pourtant depuis sa formation, ce groupe à vocation économique, dite élite économique, a préféré se livrer à toutes les pratiques improductives du point de la collectivité pour se tailler la bonne part au détriment de la communauté, qui l’entretient. Au lieu de mettre en place une industrie nationale qui aurait promu l’inventivité haïtienne, favorisé la créativité haïtienne, elle se livre, par contrebande, à la distribution des produits contrefaits, et torpille toute tentative de mettre en place des dispositifs de concurrence et des services de contrôle des produits de consommation. Le grand nombre de citoyens sont exposés à tous les risques de santé. Cette élite dite économique qui se convertit dans la vente et la distribution transforme les villes haïtiennes en déchèteries. Elle préfère la quincaillerie à l'industrie. Elle se gausse des efforts des Dominicains de monter des villes habitables au lieu de créer les conditions de construction d’espaces habitables en Haïti. En effet, dans la société haïtienne une passion de la distinction force cette élite économique à ne rien réaliser de grand, de louable et d'émancipateur dans la seule finalité de se distinguer dans la crasse, dans la boue qu'elle entretient par les déchets qu'elle tire des emballages de leurs produits importés.

Une élite dite intellectuelle, fait très peu usage de l'intelligence créatrice pour soutenir la population dans son effort de faire monde, et se voit incapable ou impuissante de répondre aux problèmes fondamentaux de la société haïtienne. Aucun questionnement systématique sur le style d'organisation sociale et politique qui conviendrait au mieux-être de tous. Au contraire, elle s'accommode en se courbant l'échine au pouvoir politique pour aménager un quant à soi, oasis imaginaire par quoi elle se croit protéger. Oubliant sa vocation, elle pleurniche au même titre que citoyen ordinaire. Prise entre la dépression et la colère, elle pense faire la révolution en étant constamment anti. Anti-capitalisme, anti-liberalisme, anti-dictature et anti-despotisme, mais assez timorée lorsqu'elle devait proposer le choix d’organisation politique, économique et sociale à faire. Elle est, par moment, et certains d'entre eux, de gauche ou progressiste, socialiste ou communiste, mais le plus souvent sans conviction, sans discipline. Etant au pouvoir, elle devient jouisseuse de la vie et de la mort des pauvres gens. Prenant goût du pouvoir, elle devient gestionnaire de la misère de la citoyenneté.

Une élite dite politique fait le va et vient entre le pouvoir et l'opposition, joue l'opportunisme comme vertu politique par excellence en situation de précarité inavouable. Elle devient la risée d'un « peuple » qui se persuade qu’il est plus sage de prendre le risque avec des amateurs que de se faire écorcher vif par les menteurs expérimentés : mieux vaut choisir un nouveau venu que de composer avec les politiciens reconnus. Au lieu de s’interroger sur la possibilité de ré-enchanter les citoyens à la chose politique, elle rampe, elle se conspue davantage en faisant la sous-traitance politique au profit du nouveau venu inexpérimenté, inculte et stupide. L'espace social est vidé de son sens par la désolation que suscitent la corruption, l’incompétence et l’ignorance des apprentis politiciens qui sont incapables de comprendre que la politique a à sa charge le bien-être collectif, qu’elle exige une capacité d’abstraction ou de généralisation ; c’est en cela qu’elle est la plus noble activité humaine.

 Les Haïtiens ordinaires livrent une lutte à mort à la nature, à l’environnement, et se tuent à petit feu : pas d'eau courante dans les foyers, des piles d'immondices parsemées dans les rues comme des décors baroques pour le temps infernal de la corruption généralisée, un air puant conspue corps et âme. Ici, on fait du monde avec de la crasse, de la misère et de la mort calculée...

L'espoir s'efface du cœur des plus jeunes, qui se livrent au raboday, au bodègèt, délire populaire par temps de désespoir et d’absence de sens, de la dissipation du sentiment du beau et de la grandeur. Ici, nous avons inventé une musique, un style de vie, sorte de somnifère pour une longue nuit de déraison au profit des politiciens qui ne sont heurtés par aucune exigence citoyenne. L’incompétence a droit de cité, l’ignorance devient signe distinctif et la laideur valeur esthétique d’une politique macabre et exécrable.

Des malades, jonchant les couloirs des hôpitaux publics comme des guenilles abandonnées par la bourgeoisie dans sa fantaisie mondaine, achètent au compte-goutte des diagnostics qui ne sont pas toujours crédibles, passent des heures interminables dans les hôpitaux fonctionnant comme des épiceries - ici pas de crédit, consultation argent comptant et sur mesure. Hier encore, les médecins, en grève, ont pris en otage des malades, qui ont été contraints de prendre leur mal en patience. Selon les médecins, cette décision reste la seule façon de se faire entendre, mieux de faire pression sur l'Etat haïtien. Des manifestants coupent les routes reliant plusieurs villes à la capitale, laissant les paysans avec leurs récoltes. Ils font eux aussi pression sur l'Etat pour obtenir gain de cause, cela reste leur seul recours pour se faire entendre de l'Etat. Des professeurs suspendent les cours pour faire pression sur l'Etat. Des étudiants interrompent un processus d'inscription de postulant fraîchement sortis du secondaire pour exiger de l'Etat leur nomination sans condition. Enfin, l'Etat fait pression sur la communauté internationale en abandonnant le pays à l'insalubrité, à la corruption, à l'obscurantisme, au raketage de toutes sortes. On n'a qu'à prendre pour preuve le grand système d'arnaque que représente le phénomène d'universités privées qui pullulent comme une épidémie de l'analphabétisme. Les universités envahissent les espaces au même titre que les marchands occupent les trottoirs et les rues tout en défiant l'Etat de les déguerpir.

 

II

Tous ces cas recensés et tant d'autres qui devront attirer l'attention des observateurs permettent de constater qu'il se produit dans la société haïtienne quelque chose d'inquiétant qui se manifeste par l'oubli du commun, par la déchéance de la communauté, au profit d'une atomisation asphyxiante et délétère. Certes, le libéralisme a produit, par les conséquences de ses principes individualisants, des effets pervers des droits individuels qui conduisent à l'atomisation, à la désaffectation des pratiques politiques par le grand nombre des citoyens. Mais, ce que nous vivons en Haïti est loin du dés-emboitement du libéralisme. Il se passe dans notre société quelque de chose de plus catastrophique, puisque cette atomisation crasseuse semble faire office d'institution primordiale de la société. Cela expliquerait la raison pour laquelle même l'Etat soit ravalé au rang d'instance individuelle d'une lutte pour la survie au détriment des citoyens. Une lutte à mort qui semble devenir en même temps un fond de commerce pour les uns et pour les autres, une pratique commune de mise à mort de l’autre par le salut de soi-même. Le petit marchand qui spécule sur le dollar pour augmenter le prix des produits achetés plus d'un mois avant la dépréciation de la gourde opère selon la même logique que le directeur d'hôpital qui autorise de soigner un malade sous condition de payer préalablement. Ces deux cas, et bien d'autres, renferment la même intentionnalité: la vie n'a aucun prix en Haïti. Aucun prix, non dans le sens de l'inestimable, de ce qui serait par-delà tout prix ; au contraire, elle n'a pas de prix parce qu'elle ne vaut rien. Elle est sans valeur. Nous n'avons qu'à voir comment on meurt en Haïti...Ici l’homme (l’humain ou l’humanité) meurt comme des rats et des cafards.

Tel est l'aspect à prendre en compte pour poser la question de la déliquescence des liens, des solidarités qui disparaissent au profit de la méfiance, de l’indifférence (du je-m’en-foutisme) et du silence. La vie est devenue superflue pour l'haïtien ordinaire comme pour le responsable politique, comme pour les agents de l'Etat. Une pulsion de mort, une pratique de mise à mort, travaille la société haïtienne. Il faut la diagnostiquer pour sauver l'humanité en Haïti.

Il faut reconnaître que tous ces cas recensés sont liés, à la fois, par une construction ou une compréhension de l'Etat, et par un mode inédit de la citoyenneté haïtienne (une nouvelle figure de la citoyenneté s’élabore en Haïti, elle se montre par sa niaiserie, son impulsivité à incendier, à ne penser qu’à soi, à ramener tout à son individualité mesquine), qui priorise le saccage, la dégradation au lieu du dialogue. Cette nouvelle figure de la citoyenneté, reconnaissons-le, se nourrit de l'expérience d'un Etat prédateur dont on dit qu'il est faible quand il s'agit d'organiser la société et le vivre ensemble, mais très fort dès qu'il est question d'intervenir pour faire valoir ses prérogatives. Le nœud de la question est celle-ci, qu'est-ce qui tient ensemble citoyenneté délinquante, cette citoyenneté qui n'a de recours que dans la détérioration des biens et des espaces publics, qui s'est refusé au dialogue jugé épuisé et un Etat insouciant, dont le sens est dans le mépris ou la méprise de la vie, de la vie bonne, puisqu'il produit quand bien même une vie banalisée, précarisée et bestialisée. Deux modalités de la violence qui, de part et d'autre, structure les pratiques sociales, politiques et économiques. Qu'est-ce qui les maintient ensemble?  Ce qui maintient ensemble citoyenneté casseuse et Etat bandit c’est l'oubli fondamental que la politique n'est pas un simple jeu, mais un exercice d'êtres convaincus de la perfectibilité humaine, du choix que l'humanité est l'idéal du vivre-ensemble. Citoyen haïtien et état haïtien se confondent dans un marathon à l'annulation réciproque. Ce qui donne lieu à une im-politique, entendue comme la tentative politique d'en finir avec la politique au profit d'une guerre à main nue, en tenant le droit, les règles de jeu, à l'écart. Le sens véritable de la politique haïtienne, qu’il s’agit se son versant social de lutte et de revendication ou de son versant proprement politique d’administration, est l’annulation de toutes formes de règles de jeu en érigeant l’espace en jungle.

Nous sommes à un carrefour de l'histoire où il est important que des voix se lèvent pour couper court à ces mascarades qui font de nous la risée de l'humanité, et font honte à l'humanité en nous, manifestée ailleurs par cette capacité d'indignation(il faut dire que très peu d'entre nous la possède encore), ou à l'humanité comme dette de tout humain face à son prochain. Il faut rectifier quelque chose de la maxime kantienne, non seulement il est catégoriquement interdit de traiter l'autre en moyen, mais surtout il n'est pas raisonnablement justifiable de se livrer à des pratiques qui réifient l’humanité. L'humanité est une finalité, l'étincelle, la lumière naturelle, disent les anciens, qui permet à l'homme de se penser plus grand que le monde. Elle est la voix de l'immense ou de l'infinie richesse que représente l'homme, que le monde, trop exiguë et pauvre, ne puisse contenir ou engloutir. Aujourd’hui, les haïtiens semblent mettre ce sens de l’humanité à l’épreuve dans les politiques de banalisation, dans les pratiques d’usure de la vie et de la dignité.

Lorsqu'il est interdit à l'homme de se traiter en moyen, en chose, en instrument, cette injonction vise carrément à porter l'homme à se prendre au sérieux sans être grave, de se penser plus grand que le monde sans l'anéantir.

 C’est à ce principe éthique que nous ne sommes pas attentifs. C’est ce qui nous fait obscurcir l'expérience humaine dans des pratiques qui deviennent formes diverses de raturage de l'humain. Humain trop peu humain. Telle est la raison qui pourrait expliquer l'état de la politique chez nous, sorte de gageure où se livrent dans une guerre mortelle les citoyens haïtiens, marqués par une pulsion de mort inouïe.

 

III

La fiction élaborée par la philosophie politique moderne montre quelque chose de particulier de l’expérience politique en général. Elle indique avec assez de vigueur que l'avènement de la politique s'établit sur un paradoxe, celui de réduire la guerre de chacun contre chacun. Donc, avant la politique, elle suppose un état de guerre que seule la loi de la conservation de soi entretient la logique des rapports d'entraide ou de lutte. Mais il se révèle qu'une telle loi ne rend pas encore possible le vivre-ensemble selon l'intérêt commun de la préservation de l'espèce humaine. Telle est semble-t-il la leçon qu'il faut tirer de cette philosophie politique qui reconnait que la politique est le lieu d'où advient l'humanité. Autre paradoxe qu'il faut souligner au passage : en même temps que la politique advient en s’accompagnant d’un ordre d’humanité elle rend aussi possible l'irruption d’une tendance à l'inhumanité comme procès de destruction de la politique. La politique est une invention fragile et précaire, toujours précoce du fait de l’impossible raturage de l’inhumain. En ce sens, elle est à la fois tentation à elle-même et à son autre.

La politique, elle-même, est prise dans un paradoxe. Elle surgit sous le fond d'une incertitude quant à la pérennisation de l'espèce humaine promue à l'humanité. Donc, la politique gère une lisière, sa nature est celle de tenir dans une bonne entente les deux bouts d'une réalité humaine, l'animalité et l'humanité. Toutefois, quand elle même se donne à la culture de l'animalité, elle tombe dans le bas-fond qui la perd par sa vocation. En ce sens, toute la biopolitique, inspirée de l'esclavage, mise en place par l'État haïtien, n'est qu'une patience mise en œuvre d'une non-politique, qui devient maintenant bouffonnerie d'un groupe d'individus qui s'oublient, et qui sont loin de faire honneur à l'humanité.

Écartons toute suite, les objections qui risquent de contester cette hypothèse en avançant la révolte des esclaves comme choix d’une politique de l’humanité, l'indépendance de 1804 comme indices de notre humanité, de notre apport à l'humanité. De telles objections auraient négligé un élément simple: l'humanité peut se perdre. Si par l’indépendance, nous avons fait signe vers l’humanité, nous ne sommes pas depuis longtemps en adéquation à cette promesse, à cet héritage. N'étant pas à l'écoute de la tradition, du moment fondateur, l'humanité se dessèche et devient fumier d'elle-même. Nous sommes vraisemblablement à ce niveau de notre expérience dans l'humanité, et ce que nous essayons de suggérer consiste à rappeler que nous courons le grand risque de nous voir plongés dans l'incertitude de l'état de nature où l'entraide cède le pas à la survie et la déchirure, à la mise à mort de chacun contre chacun.

Cependant, si nous en sommes arrivés à ce stade, il faut trouver la cause dans les conditions de l'expérience politique haïtienne, mais surtout du mode de mise en commun. Nous voulons revenir encore une fois sur ce débat déjà entamé avec Carlos Avierl Célius en retenant que le contrat ne saurait se produire ni par représentation ni par le haut, au moyen d'un petit groupe de décideurs ou généraux, tel qu'il l'entend avec le gouvernement de Toussaint Louverture. Le modèle social haïtien n'advient pas par l'entente; le lien qui se faisait fut celui de la mésentente, de la dissension, un ordre de conflictualité. Une sorte d'être ensemble malgré soi, du fait de la présence réelle d'un ennemi spontanément, conjoncturellement qui devint commun. Si, anthropologiquement, le groupe se compose en se dressant des ennemis extérieurs qu'il considère comme des « barbares », dans le cas haïtien l'inimitié ne fut qu'une passion qui s'est mal tournée, qui est devenue mélodrame. Le tragique devient la cohésion interne. Pour qu’on pût arriver à une communauté haïtienne véritable, il aurait fallu détester l'ennemi et s'aimer soi, s'aimer l'un l'autre. Ce qui n'a pas pu se réaliser, du fait que l'institution d'un lieu anthropologique haïtien soit hantée par la passion de la civilisation, de l'autre, de l'autre civilisé, archétype de l'humanité.

Aucune société n'invente son humanité de l'extérieur, même si elle a besoin de l'extériorité pour instituer cette humanité qui doit poindre de sa sensibilité fondamentale, ce qui nourrit sa relation aux choses, aux autres, au ciel, à la terre et aux dieux, pour paraphraser Heidegger. Sur ce point particulièrement, les Haïtiens ne s'entendent pas, chacun semble avoir son ciel, sa terre et ses deux. Donc chacun son monde, pas de monde haïtien. Et, le plus caractéristique est que chacun produit son monde tel que l'(A)utre l'apprécie. Nous ne sommes pas encore fondateurs de nous-mêmes. Certainement, nous aurons évidemment besoin de l'autre, mais ce besoin ne sera pas pour valider ce que notre sensibilité nous donne comme sens du monde. Il n'y a pas de bon ou mauvais, de pertinent ou d'impertinent sens du monde. Tout sens du monde est un absolu et prend sens de notre rapport à l'absolu. Qu'est-ce qui fait sens pour les Haïtiens?

Cette question conduit au constat que le sens fondamental que produisent les Haïtiens consiste à être contre soi-même dans ses relations l'autre, donc facilement à s'embobiner dans les mailles mises en place par l'autre. Cela s'est produit dans les moments les plus essentiels de la vie intellectuelle de la société haïtienne.

Les théoriciens du 19e siècle, ceux-là qui ont emprunté la voie de la dialectique, de la lutte intellectuelle dans la consolidation et la défense de l'indépendance, ont lutté avec les armes de l'ennemi, sur son terrain. Telle est la raison de leur victoire en demie teinte  anthropologiquement et politiquement. Voilà ce qui explique la difficulté de faire advenir un véritable Etat d’égalité et de liberté. Aujourd'hui encore, on crie haut et fort que ces théoriciens avaient gagné la lutte. Illusion. Comment pouvaient-ils gagner cette lutte quand leur concept de civilisation a été élaboré dans les interstices de la théologie et de la philosophie de l'histoire de l'Europe? Comment auraient-ils pu procéder autrement, lorsqu’ils étaient incapables de constater qu’il était impertinent de lire la situation haïtienne à l’aune des catégories anthropologiques, historiques et politiques des anciens colonisateurs. Ils ne se donnaient pas la peine d'observer qu'une expérience nouvelle de l'histoire s'est imposée dans la société haïtienne dont ils étaient les témoins.

En se trouvant dans la situation de revendiquer l'égalité montre que l'histoire haïtienne est celle de la souffrance, de la douleur, de l'injustice. Se trouvant dans la nécessité de penser l'égalité des races à été signe de la biologisation ou de la naturalisation de rapports sociaux, politiques et culturels. Ne pas le remarquer c'est reconduire le naturel au sein de la politique à son insu; c'est réduire la politique à une machine biopolitisante qui produit des êtres de trop, des bêtes de somme. Ainsi la pensée haïtienne, essentiellement anthropologique, produit des catégories qui renvoient au procès de civilisation et de barbarisation. En fait, une hantise travaille l'anthropologie haïtienne comme politique de partage d’étiquettes, celle d'un soupçon: un petit groupe d'hommes et de femmes de la société se posent en représentant du genre humain, et se doutent de l'humanité du grand nombre. La politique, dans ce contexte de soupçon, devient processus de civilisation, prétexte du laisser mourir à petit feu. Ailleurs, nous avons parlé de la politique de la survie pour traduire ce dispositif qui ne produit que des êtres superflus.

Tel est l'endroit en direction duquel il faut mettre le cap pour esquisser une compréhension de ce qui se passe dans cette dynamique macabre où état et citoyen se livrent une guerre sans pitié dans le raturage de l'humanité, l'un en se refusant de créer les conditions d'une vie digne, l'autre en raturant toutes conditions de maintenir l'humanité étant en sursis. Une pulsion de destruction travaille de part en part la société, les groupes, les individus et les institutions publiques ou privées. Le véritable mot est la haine de soi.

 

Edelyn DORISMOND

Directeur de Programme au CIPh

Membre du Conseil de LADIREP

  

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