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11 janvier 2018 4 11 /01 /janvier /2018 18:18

 

Le Conseil de Gestion du Campus de Limonade est à bout de souffle. Il a épuisé toutes ses ressources de gestion sans avoir donné de grands résultats, les résultats attendus. De grands moyens pour de maigres résultats… Surtout une perte caractéristique de légitimité et d’autorité, que témoigne ce début de crise qui s’annonce difficile à démêler du fait du bras de fer entre les composantes professorale et administrative. Le Conseil est trop flegmatique pour donner une véritable impulsion de relance au Campus; pris dans son propre piège son indécision répétée exprime l’érosion de son autorité, donc de sa capacité à trancher, à orienter et à concerter (organiser et harmoniser). En conséquence, deux ans et demi plus tard, nous comptons des carcasses de tôles, de céramiques (en ce qui concerne la structure physique du Campus, mais je pourrais filer la métaphore, en constant que le corps professoral aussi bien que le personnel administratif et le corps étudiants sont en lambeaux) au lieu de retrouver la structuration des corps, du régime académique et une véritable vision d’ensemble. Est-ce la faute au destin ? A admettre une telle hypothèse reviendrait à considérer qu’un fatum avait hanté l'histoire du Campus, laquelle histoire n’en serait pas une, puisqu’elle cesserait d’être le produit de l’action ou de la liberté humaine, mais les effets d'une décision divine dessinant la voie inexorable du dysfonctionnement répété du Campus. Ce n’est pas la faute au destin ou à je ne sais quelle décision extérieure à la liberté des acteurs du Campus. C’est le choix des Conseillers principaux qui n’ont pas su faire les bons choix au profit de la gestion des places: trois grandes orientations administratives sans cohérence ont été entreprises toujours dans la perspective de dissimuler la passion de se maintenir aux postes de commande. La fragilité du Conseil a constamment pris la forme de faveurs, de promotion ou de changement de postes: on ne fait pas fonctionner l’institution en mutant sans cesse les employés qui, n’ayant pas toujours les qualifications requises, auraient profité du temps pour se former sur le tas. Malheur à quiconque qui n'a pas compris que la «gestion» de l’institution n’est pas une affaire de gagne-pain ! Malheur à celui ou celle qui a oublié qu’une institution est une affaire d’autorité, de capacité à commencer quelque chose dans la routine de l’administratif qui participe au renforcement de l’instituer comme condition et effet de l’autorité. Malheur, enfin, à celle ou celui qui a donné libre cours à sa faiblesse d'homme et affaiblit l’institution.  Celle-là ou celui-là ne sera pas digne ni de l'histoire, ni de l'humanité. Les institutions sont de l'histoire et de l'humanité. Les affaiblir au profit de sa petite misère personnelle, c’est n’être pas digne d’être reconnu de l'humanité, et retenu par l'histoire comme porteur de flambeau de l’émancipation. Misérable petit homme qui a ramené le rêve de la société à l’ornière de son rêve de Nain[1]. Rêve de nain, rêve d'homme sans grandeur…

L’actuel Conseil de Gestion est arrivé au Campus dans un contexte de tension (certains professeurs ont attendu 8 à 10 mois pour signer leur contrat et recevoir leur paie, les étudiants réclamaient leur régime académique et les modalités de leur «diplômation», etc.) qui avait occasionné la révocation du Conseil qui avait pris fonction à l’ouverture du Campus. Nous avons déjà souligné le contexte carnavalesque (rappelons au passage cette première crise liée quelques mois après le fonctionnement du Campus au Carnaval des étudiants, rappelons ces journées de mer offertes en guise de réponse aux questions soulevées par les étudiants, etc.) dans lequel on avait ouvert les portes du Campus et recruté, sans programmes ni professeurs suffisants, un nombre important d’étudiants. Nous avons décrit cette ambiance pêle-mêle générée par l’absence d'une vision d’ensemble: aucune idée d’université, aucun programme n’étaient disponibles; le corps professoral n’existait pas, le corps administratif non plus, seul un groupe d’étudiants allant de salle en salle pour suivre quelques cours improvisés. Tous ces paramètres indispensables pour mettre en place une dynamique universitaire faisaient défaut à l’ouverture du Campus. On se mettait à improviser quelques cours, quelques règles de fonctionnement, quelques activités, etc. Le premier Conseil s’est vu emporté, deux ans plus tard, par les vagues de contradiction et de déception en laissant un Campus en projet d’institutionnalisation. Telle a été la mission principale de l’actuel Conseil de Gestion dont le mandat est d'une durée de trois ans: structurer le Campus en vue de mettre en place un Conseil élu par la souveraineté interne du Campus, c'est-à-dire sans l’ingérence d’instances externes, politique ou académique. Où en sommes-nous ? Question ambigüe. Cette question peut s’entendre dans le double sens suivant: où en sommes-nous avec la structuration ? Ou encore, la structuration étant achevée, où en sommes-nous dans le processus électoral ?

La structuration du Campus reste encore un projet, très éloigné de sa mise en œuvre. Nous en prenons pour preuve la situation présente qui risque de conduire à une crise faisant ressortir l’échec du Conseil dans sa mission d'une part à résorber les crises[2] et d’autre part à structurer le Campus. De quoi s’agit-il ?

 Il s’agit de souligner comment le manque d’autorité des membres du Campus a conduit le travail de structuration à la mise en place d’un ordre de crise continu et à l’impuissance à structurer, à créer un contexte réglementé et respecté par les différentes Composantes.

L’autorité se fonde sur la tradition ou sur l’expérience, sur la raison ou sur Dieu, comme réalité religieuse ou magique fondamentale. La caractéristique de notre temps, celui de la modernité, en-deca ou par-delà de la postmodernité, tient de la raison comme instance de fondation de l’autorité, elle-même mise en place par l'auto-nomie, la fondation de la norme et de l'autorité par la simple capacité à commencer, à être origine, commencement sans commencement. Il faut vite reconnaître qu’en Haïti, cette situation se montre plus complexe et compliquée. Un ordre dʼEtat moderne a été mis en œuvre dans la société haïtienne; la rationalité qui le structure porte la trace du magico-religieux, modalité particulière de la tradition. Dans les institutions haïtiennes, comme dans la société haïtienne en général, l’autorité se fonde sur un mélange magico-religieux et expérientiel qui met la rationalité dialogique hors jeu, et favorise des pratiques d'hétéronomie comme condition de légitimation ou de fondation: le pouvoir se fonde sur la puissance, sur une altérité absolument étrangère à nos expériences de peuple dans un contexte raciste. La routine, la répétition, les pratiques deviennent les formes de fonder l’autorité.

Le Conseil se trouve pris dans cette dynamique anthropologique générale et son avenir s’est dessiné dans sa manière de s’approprier les pratiques dans les mailles de pratiques de connivence, de s’inscrire dans l’ordre de légitimation des pratiques. Dès lors, la fondation justifiée par un ordre de raison, par exemple la structuration du Campus pour son meilleur fonctionnement, perd son sens au profit d'une légitimation par jeu de rapports de force. Le Conseil a misé sur les rapports de force entre les Composantes pour se tirer du jeu, chaque fois qu’un problème administratif, académique se pose au Campus. Il se fait régulièrement le grand absent du travail d’instituer une instance d’autorité et de légitimation des initiatives en se plaçant du côté de tendance du moment. Toutes les Composantes se sont imposées comme lieu de légitimation : le Campus abrite alors plusieurs sources de légitimation auxquelles se plie à tour de rôle le Conseil.

Il s’est produit un incident regrettable cette semaine, qui montre une fois de plus, peut-être la dernière fois, combien le Conseil insiste sur cette quête infructueuse de légitimation par rapports de force. Il se veut neutre quand il est appelé à adopter un point de vue de la raison. Dimanche 03 décembre 2017, un chauffeur ramenant un groupe de professeurs du Campus de Port-au-Prince au Cap-Haïtien et à Limonade, a abandonné en chemin, précisément au morne de Puilboreau, non loin de la commune d'Ennery, sans raison ou autorisation de ses supérieurs hiérarchiques. Lundi, indignés et en colère, les professeurs ont décidé de marquer un arrêt de travail en vue d'exiger sanction contre le chauffeur. Entre-temps, le Conseil a publié une note condamnant cet acte et annonçant la prise des dispositions pour éviter que de tels agissements ne re-produisent. Une note du Corps professoral faisant état de l’incident réclame que sanction soit prise contre le chauffeur, seule condition de retourner dans les salles de classe. Mardi 05 décembre, le Conseil, par la présence du président Audalbert Bien-Aimé, a entrepris une rencontre extraordinaire avec les professeurs. Cette rencontre n'a pas fourni le résultat escompté puisque le Corps professoral n'a fait que réitérer sa position tout en prenant acte de la note lue au cours de la réunion par le secrétaire général, monsieur Jean-Marie Michaud, qui indique que le Conseil a exigé au chauffeur de rester chez lui attendant la décision définitive (il s’agit dune mesure conservatoire en attendant la décision définitive). Une décision identique a été prise contre un autre chauffeur qui avait, selon certains étudiants, frappé un étudiant du département de Sociologie. Lundi 04 décembre alors que les professeurs se réunissaient pour s’entendre sur la position à adopter face à l’incident, des étudiants de sociologie réclamaient justice en faveur de leur condisciple. Dans cette perspective de revendication de justice par les étudiants et les professeurs, les employés de l’administration ont publié mardi une note exigeant au Conseil de sanctionner un professeur qui aurait proféré sur un groupe de whatsapp (Communauté CHCL) des propos «malsains et désobligeants».  Cette entrée en scène du personnel administratif donne une vue complète de l’ambiance du Campus.

Les trois  Composantes, il faut noter qu’un groupe d’étudiants se réclamant d'une nouvelle association se montre préoccupé par cette tension qui s’impose au Campus, semblent se mettre au pied de guerre pour faire valoir leur position respective, mais semblable dans son intitulé: sanctionner, faute de quoi la situation de blocage du Campus s’avère inévitable.

 Nous nous trouvons donc en présence de ce que nous pourrions appeler une communauté de mésentente, de conflit qui s’érige sur l’absence d’un ensemble de règles pour faire la part des choses et exiger l’accord des autres membres. En l'absence de ces règles qui n’ont pas été mises en place[3], des positions s’entrechoquent sans un lieu partagé d'interprétation et d’entente. C’est pour n’avoir pas mis en place ces règles, ce lieu de consensus que le Conseil a raté sa principale mission: structurer le Campus, c’est-à-dire instaurer un ensemble de règles générales (ce que nous avons appelé ailleurs, un «ordre de généralité»), un ensemble de règles par composantes pour régulariser les pratiques et colmater la brèche de l’improvisation et de la gestion par sensiblerie, source de conflit de toutes sortes. Faute de ce travail de fondation, le Conseil gère les petites com-missions. Le véritable problème du Campus se trouve dans l’absence d'une vision d’ensemble de l'institution universitaire, d’où il devrait tirer sa légitimation, et organiser les rapports des différentes Composantes. Le Conseil de Gestion a tout raté en ce sens, puisqu’il est en face aujourd'hui à une dislocation généralisée qui le rend impuissant face à la restauration de relations harmonieuses et apaisées entre les Composantes. Il se donne à la gestion de la quotidienneté qui l'a épuisé et l'a conduit à bout de souffle. Il s’entrave entre le marteau des professeurs et l’enclume des employés sur le dos des étudiants qui resteront les grands perdants tout en ne sachant à quel saint se vouer (trop tard pour se vouer à la raison). Donc, le Conseil étant en panne d’autorité, n’étant pas en mesure de trancher puisqu’il fait face à une déficience de légitimation qui conduit à une défiance des Composantes doit tirer les conséquences de ses pratiques de gestions de places.

 

Dr. Edelyn DORISMOND

Professeur de Philosophie au Campus de Limonade

 

 

[1] Pär Lagerkvist, Le Nain, Paris, Stock.

[2] J’entendais dire, à l’arrivée du Conseil, composé des deux professeurs (messieurs Audalbert Bien-Aimé et Hérissé Guirand) et de l’administratif (monsieur Pierre Maxwell Bellefleur) que ses membres avaient de longues expériences en gestion de crise. Etonnamment, personne ne s’était demandé ce que cela a voulu dire, puisqu’être spécialiste en gestion de crise peut prendre ce double sens de résolution de crise ou d'instigation de crise (de capacité à nager dans la crise comme manière d’avoir de crises à gérer).

 

[3]  Lors de la réunion du Conseil avec les professeurs, un professeur a proposé la mise en œuvre de règlement pour les chauffeurs. En réalité, il a toujours été question d’élaborer un ensemble de règlements pour les corps qui n’ont jamais vu le jour. Il faudrait savoir pour quelle raison le Conseil n'a pas su impliquer tout un chacun, y compris les collègues professeurs, à cette tâche importante et indispensable. Structurer c’est avant tout s’entendre sur les règles de jeu, qui génèrent une régularité des pratiques, une prévisibilité des pratiques et de leur compréhension. Sans  règles de jeu, on est pris dans les pratiques d’improvisation qui se fondent elles-mêmes ou sur le simple bon sens, généralement contaminé par les intérêts de groupe, du contexte ou personnels etc.

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commentaires

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Bonjour Dorismond, si je puis me permettre, ton blog est illisible en l'Etat. <br /> J'espère que tu as l'occasion de repasser voir Georges Navet...
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