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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 15:52

 

Edelyn DORISMOND,

Docteur en Philosophie

LLCP EA 4008/Université Paris 8-Vincennes.

Co-directeur de la revue Recherches Haïtiano-Antillaises

 nPrésident du CRENOSC (Centre de Recherche sur les Normativités dans les Sociétés Créoles)

 

 

 

A lire le recueil de Glaude, l’on se hâterait de dire : « un livre de plus ! ». Un livre de plus que l’on pourrait entendre dans le sens d’un livre supplémentaire qui viendrait occuper la place que tous les autres, déjà parus, ont occupé. Donc, un livre en plus et rien de plus. Il serait possible d’entendre l’exclamation dans le sens d’un livre qui est à sa place mais qui ne dit rien de plus au regard de ceux qui ont été publiés. En fin de compte, il s’agira d’un livre qui viendrait combler les rayons des bibliothèques. Le recueil n’a rien à voir à un « de plus » qui serait un surplus, un rejet d’une productivité littéraire qui ne sait que faire d’une dernière publication. Il s’agit d’un livre, d’un livre nouveau eu égard aux thématiques qui lui procurent sa densité dont l’intérêt est qu’il nous donne à penser, qu’il nous amène à un questionner à la fois sur le pays qui est recherché, mais surtout sur le rapport entre la décrépitude (du pays) et l’espoir. Nous nous intéressons, ici, à fouiller le traitement que reçoivent la dégénérescence et l’espoir dans le recueil, afin de montrer en fin d’analyse que l’expérience de la déception peut être aussi, à côté de sa dimension psychologique de honte et de dénégation de soi, un détour, certes douloureux, qui délie les contraintes, par transfiguration de la réalité, en ouvrant les possibilités positives, conditions de l’espoir.

Le poète porte un corps sensible, trop sensible ; de cette sensibilité découle une série de constats, des impressions qui donnent en grand plan l’état des alentours, l’état du pays, de la vie. Il s’agit de souvenir, de sensation d’un pays qui a décrépi. C’est un pays réduit d’abord à sa « terre » : « terre perdue aux quatre murs taraudés » (p.13) Terre avec laquelle le premier contact est celui des sens, la sensation. Le poème « nos mains… » dresse l’ensemble des fonctions auxquelles elles peuvent s’adonner : « nos mains ont toujours l’odeur/ de ce que nous faisons ;/ elles sont toujours la lourdeur/ de ce qui répugne » (p.21) Une terre lourde - aux  odeurs répugnantes !- qui conduit à une conscience du pays. De la terre au pays en transitant à l’ « île » (« mon île dort toujours sous les débris (…) Tatouée d’une chaleur écoeurante. » (p.18), nous faisons le constat d’une plus grande prise en compte de la responsabilité ou de l’engagement, une plus grande précision des sentiments. Une « île » que les « mains » soutiennent pour ne pas perdre l’équilibre, des mains qui réparent le déséquilibre de l’île : « des mains tendues la cascade sonne/ sur mon île perdant ses équilibres. » (p.18) L’île titubante est le pays où « l’espoir s’enfuit/ impalpable dans le futur. » (p.14) Soulignons que chez Glaude la « terre » et le « pays » sont entourés par le chiffre « quatre ». Quatre comme les quatre points cardinaux qui structurent notre déplacement dans le monde ; quatre comme les « quatre saisons » qui rythment notre complicité à la nature : quatre est le chiffre de la clôture (« quatre murs ») (p.13), (« quatre saisons mortes ») (p.15). Terre et pays clôturés dans le cri douloureux qui ôte les mots (« je psalmodie le silence de mes mots blessants/ de mes longs cris ») (p.13), dans les désastres qui n’offrent aucune issue (« la mort est diluvienne/Figée sous les vacarmes » (p.14). Pays et terre enclos dans le silence, le silence des tortures, des avilissements, de la peur de ceux qui nous apporté le « malheur », la douleur, la souffrance, etc. Le pays et la terre ont connu le malheur, depuis c’est le « silence qui nous tuait/Le silence qui nous ravageait l’âme/ Le silence qui nous changeait le destin. » (p.26) Dès lors, nous avons l’impression que le poète s’asphyxie, se sent oppressé en découvrant les « horreurs » de ces « corps abandonnés » qui dégagent la « répugnance odeur / des ossements au regard de l’aube » (p.31), il a peur : « la peur a pris le dessus sur moi (…) » (p. 33), il devient désespéré : « tout mon bonheur est caduc » (ibid.)

 

         Le désespoir semble être la conséquence logique de cette nostalgie d’une terre, d’un pays qui n’est plus puisqu’il a été réduit en « répugnance », sorte de charnier où les corps jonchent les rues, les cours d’eau, les ravins, enfin les méandres d’une conscience tourmentée, d’une âme en mal de paix et de tranquillité. Toutefois, comme chez Albert Camus, le désespoir conduit moins au découragement ; au contraire, il fait luire le soleil par la lucarne d’un désir de ne plus se laisser traîner dans la boue puante de la mascarade politicienne, de l’hébétude des Haïtiens assommés par deux siècles de pratiques politiques avilissantes. Le désespoir génère de l’indignation. Au fond du constat désespérant gît un sourd espoir, une silencieuse espérance que le poète esquisse insidieusement.

Le poète est troublé, il est très consterné par ce qu’est devenu le pays, son pays. Dans ce même état d’âme, nous rencontrons des tentatives de sortie de cette situation affectivement ennuyeuse. Par exemple, dans La vie à la mer, nous lisons : « J’aurais tant aimé connaître/ Le secret de la mer… » (p.28) Il s’agit d’un souhait, d’un désir de l’immensité, de l’infini, figure de la promesse : mais aussi, par le symbole de la mer, c’est l’appel à cette eau originelle, sauvage, indomptable que fait appel le poète. Désir de connaître le secret de la mer, savoir ce qui fait son caractère mouvant, sa souplesse, son caractère bleuâtre, sa couleur profonde. Que peut cacher l’immensité de la mer ? La vie. La mer est toute vitalité. Le poète désire connaître la vitalité, ce qui fait que la vie reste en vie, ce qui fait que la vie mourante ou moribonde peut se revigorer comme le rugissement de la mer. Cherchant la vie, la vitalité du côté de la mer, voulant nous communiquer, par des images fortes cette vitalité, Glaude a recours à la mer comme symbole, surtout comme élément de l’Elément Eau, l’une des composantes de la vie. Dans Ma Ville, c’est à un autre élément que l’auteur a recours, le Feu : « Je prendrai la lampe aux étoiles/Pour éclairer ta demeure » Tout l’avenir de l’espoir ou tout l’espoir de l’avenir est dans « la lampe aux étoiles ». Registre du feu et de la lumière, lumière qui oriente comme l’étoile polaire. Dissiper l’obscurité, donner une orientation constituent l’engagement du poète. En outre, de la mer sur laquelle nous pourrions voguer, de l’étoile polaire qui nous guide, nous comprenons que la foi ne devrait être qu’en nous-mêmes pour prendre le chemin et arriver à bon port. Ce que le poète dit décidément : « Sur nos chemins délirants/ Je prendrai mes pas/ Comme un volcan serein » (p. 44) L’espoir est dans le courage de se prendre avec soi, malgré les « chemins délirants », malgré les troubles des morts, du sang, des tas de taudis, et de prendre avec soi la sérénité du volcan qui sait que rien ne l’arrêtera.

Enfin, Je qui cherche son pays se veut un « je » troublé, ému, affecté de mille manières par les horreurs dont il est le spectateur, aussi il est un décider qui veut aller jusqu’au bout de son rêve pour trouver le pays de l’espérance.

 

 

 

 

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