Rencontres philosophiques entre chercheurs d’Amérique latine et d’Europe
Madame, Monsieur, cher(e) collègue ou ami(e),
Nous avons le plaisir de vous inviter à la conférence de Monsieur Edelyn Dorismond (Université Paris 8) :
Philosophie de la créolisation :
Sociologie, politique et éthique de la diversalité
Dans cette présentation, il sera question pour moi de prendre en compte ce que j’avais laissé en chantier dans mon livre, L’ère du métissage. Variations sur la créolisation : politique, éthique et philosophie de la diversalité. Cette fois-ci, je m’attaquerai de manière directe à la question de la politique de la créolisation. Si, malgré tout, cette présentation ne suffira pas pour épuiser une question aussi ardue et iconoclaste, elle sera la première occasion de dessiner les voies argumentatives que je me propose d’emprunter pour, à la fois, formuler la question et esquisser des éléments de réponse à cette question. Pour cela, je procéderai d’une part à l’élaboration d’une phénoménologie du social ou du culturel qui me permettra d’expliciter la relation du culturel et de l’éthique ou de la normativité. D’autre part, vu que cette phénoménologie du social ne saurait se passer d’une herméneutique du récit, je ferai voir comment le social se lie au récit pour s’instituer à la fois dans le fait de raconter- ce que fait le mythe- mais aussi dans les normes qui trouvent leur justification dans le récit, inversement. A partir de cette relation du social ou du culturel au récit, j’en viendrai à l’élaboration de la question que je désigne, de mon vœu, de question antillaise.
En effet, si le mythe, récit fondamental, structure le social, c’est en tant qu’il est en prise avec l’ « origine » en même temps qu’il désigne la « fin », la téléologie vers laquelle tend les actions humaines. Or, il s’avère que ce qui manque, depuis le constat fait par Edouard Glissant, aux sociétés antillaises, c’est le mythe fondateur. Autrement dit, un grand récit qui les mettrait en contact avec l’origine. Certes, de l’absence d’origine dans ces sociétés on ne doit pas conclure à l’absence de toutes formes d’origines. Les groupes divers se constituent au moyen de mythes divers, sans relation unitaire entre eux. Le constat de Christine Chivallon mérite une attention particulière. Selon Chivallon, s’il faut reconnaître avec Glissant que le trait caractéristique des sociétés antillaises nées de la rencontre des Européens, des Asiatiques, des Africains et des Amérindien, est l’absence de l’origine, il ne faut pas s’empresser à soutenir qu’aucune forme de récits ou d’origines ne viennent donner consistance aux groupes qui composent ces sociétés. Dès lors, la configuration anthropo-sociologique que nous livre cette remarque est que les sociétés antillaises sont diverselles, structurées autour d’un ensemble de micro-récits structurant moins le grand corps social que les groupes ethniques ou socio-historiquement constitués. Du point de vue de la phénoménologie que j’ai esquissée, les sociétés antillaises portent plusieurs formes de normativités qui ne peuvent aucunement se justifier à partir d’une norme plus générale.
Je me trouve, en fin de compte, en présence de sociétés dite kraze ou « disloquées », non dans le sens d’une anomie généralisée. Il s’agit de sociétés émiettées du point de vue de leur composition non de celui de leur décomposition, comme on tente souvent de les décrire. Sociétés en miette, du fait de l’absence d’un récit unificateur qui aurait réuni autour d’un Ancêtre, d’une origine commune partagée.
Le plus essentiel dans ce constat sociologique et anthropologique porte sur la position de l’Etat qui est entendu généralement comme l’instance de la généralité ou de l’universalité du vivre-ensemble. Dans la situation antillaise que je décris, le problème est que l’Etat ne manque pas de se ranger, en dépit de sa vocation universalisante, parmi les groupes, avec son récit particulier, sa revendication d’une mémoire, d’une origine dans laquelle les autres groupes ne se retrouvent aucunement.
Mon questionnement trouve sa formulation dans cette situation inédite de l’Etat se trouvant dans une relation horizontale à la société, jusqu’à se voir contesté certaines légitimités à prendre en charge certaines questions politiques liées à la justice, à la reconnaissance, etc. N’ayant pas de thèse déjà élaborée sur cette question, je me propose toutefois de formuler la question : que peut-être une politique de la créolisation ? Je Précise que par politique de la créolisation j’entends à la fois la créolisation en tant qu’elle peut faire l’objet d’un « politique », d’une prise en charge institutionnelle ou administrative, et la politique en tant qu’elle peut être saisie par le phénomène diversalisant qu’est la créolisation en insistant sur la nécessité de revoir les évidences de la pensée politique, particulièrement de la philosophie politique qui sera appelée à redéfinir ses concepts majeurs : Etat, souveraineté, nation, peuple, citoyen(neté), etc. Si je suis plus attentif au deuxième sens, c’est en tant que le premier me montre la difficulté de l’administration à se situer sur le terrain de la « créolité » (caractère de ce qui est créole) que je m’intéresse à la question de la fondation dans les sociétés créoles.
Pour animer le débat nous aurons l’honneur d’accueillir en qualité de répondants les professeurs :
Seloua Luste Boulbina (Université Paris 7)
Angelica Montes (Université Paris 8)
Pauline Vermeren (Université Paris 7)
Edelyn DORISMOND, docteur en Philosophie, co-directeur de la revue Recherches Haïtiano-Antillaises, Vice-président du CRENEL (Centre de Recherches Normes, Echanges et Langage), président du CRENOSC (Centre de Recherche sur les Normativités dans les Sociétés Créoles), est rattaché au LLCP du Département de Philosophie de l’Université Paris 8. Sa thèse a été une tentative de saisir l’esclavage moderne dans la Caraïbe selon l’exigence conceptuelle de la Philosophie. Il consacre actuellement ses travaux sur les dynamiques des sociétés antillaises, sur les nouveaux problèmes que posent aux sciences sociales l’expérience politique et sociale de la diversité, le conflit de mémoires relatif à la rencontre des agents culturels. Enfin, il s’intéresse à la reformulation de la question de la philosophie politique au regard des revendications portées par les « minorités ». Il a publié L’ère du métissage. Variations sur la créolisation : politique, éthique et philosophie de la diversalité (Paris, Anibwé, 2013). Il prépare trois publications : Haïti. Histoire, Société et Politique (Presses de l’Université d’Etat d’Haïti, fin 2013), Archéologie de la colonialité. Esquisse d’une phénoménologie du capitalisme dans les colonies françaises aux Antilles (Paris, L’Harmattan, 2014) ; Pour une anthropologie en contexte créole. Critique des sciences sociales Antillaises (Paris, L’Harmattan, 2015).
Cette conférence aura lieu le
mardi 2 avril de 19h à 20h30,
à la Maison de l'Amérique Latine,
217, Boulevard Saint Germain, 75007 Paris.
Dans l'espoir de vous rencontrer prochainement, nous vous adressons l'expression de nos sentiments très cordiaux,
L’équipe des Dialogues Philosophiques
Direction scientifique: S. Douailler, E. Lecerf, G. Navet, B. Ogilvie, P. Vauday et P. Vermeren (Université Paris 8), M. Leibovici et E. Tassin (Université Paris 7).
Équipe: Angélica Montes, Carlos Pérez López, Marie Bardet, Andrea Benvenuto, Aurélie Veyron-Churlet, Camille Louis, María Soledad García (Université Paris 8), Pauline Vermeren (Université Paris 7 et Université européenne Viadrina), Carlos Contreras (Universités de Chili, de Valparaiso et Paris 8), Gustavo Celedón (Universités Católica de Valparaiso et Paris 8), Claudia Gutiérrez (Universités de Chili et Paris 8), Laura Brondino (Université Lille 3), Senda Inés Sferco (CONICET, IIGG-UBA), Louise Ferté (Université Saint-Étienne).
Université Paris 8, CSPRP-Université Paris 7, Collège Internationale de philosophie, Institut des Amériques, ECOS/MINCYT A08H03 (Paris 8, Université de Buenos Aires), ECOS/CONICYT C10H01 (Université Paris 8, Université de Chili), ECOS/MINCYT A09H3 (CSPRP- Université Paris 7, Université Nationale Sarmiento)
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Site de la Maison de l’Amérique Latine : http://www.mal217.org/