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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 12:31

 

 

Le besoin de rapprocher ces deux notions me vient de la curiosité d’une élève qui, en me demandant d’établir pour elle la distinction entre la constance et la patience, m’a conduit à une sorte d’extase où sa question devient simple suppôt du déploiement de la pensée toujours prête à prendre son envol. Ce vol, elle ne l’exécute par uniquement, à la manière de l’oiseau de Minerve dont le vol indique l’aube, mais s’effectue dans le geste qui cesse de voir les choses dans leur évidence quotidienne. Dans ce cas, la pensée n’ pas une temporalité propre pour son déploiement. Autrement dit, la seule temporalité qu’on pourrait lui reconnaître, elle la tire de cette fêlure qui fissure la cohérence et l’évidence des choses, de la réalité. Or, la fêlure du monde n’advient pas dans une prévisibilité patiente, donc prévisible et récupérable dans une anticipation assurée. Elle advient au creux de l’étonnement, de ce regard étrange qui surprend que les choses ont changé ; dans ce regard étrange les posant étrangères. Sans identité comprise, sans compréhension répondant aux critères, déjà anciens… Ma pensée a surpris cette fêlure dans le rapprochement généralement fait de la constance à la patience. La patience n’est pas la constance, inversement la constance n’est pas la patience. La seule compromission qui vaille dans une tentative de rapprocher patience et constance est qu’elle s’entremêle passablement l’une à l’autre, mais sans que l’une soit la condition de possibilité de l’autre. En entreprenant notre étude par la démarche de l’intentionnalité, donc phénoménologique, nous ferons remarquer explicitement que la patience n’est pas constituée par la même « intention » que la constance. La phénoménologie de la patience nous livre une intentionnalité définie par l’espérance ou l’espoir. En ce sens, l’expérience qui serait plus proche de la patience, ce n’est nullement la constance, mais l’attente. Tandis que l’intentionnalité à l’œuvre dans la constance laisse apparaître un souci de soi, sens de toutes techniques de soi. La constance est un travail de soi sur soi.

 

 

De la patience

 

 

Qu’est-ce que la patience ? Cette question pose l’inconvénient que si nous partons d’elle nous serons incapable de faire venir telle quelle l’expérience de la patience. Nous nous demanderons plutôt comment la patience se manifeste-t-elle ? Ici, nous visons de surprendre dans l’acte manifestant la patience le mode intentionnel qui le signifie. Le patient est celui qui subit le temps qui, en voulant satisfaire Lamartine, semble suspendre son vol, mais pour déposer dans l’attente du patient un poids, des fois, vécu dans l’intolérable attente de quelque chose qui devait arriver, qui est déjà en retard dans son a-vénementialité. Le temps qui surplombe le patient, il suffit de l’observer dans le geste de l’impatience, n’est pas ce temps qui advient, dans la perspective d’une verbalisation de l’avenir. L’avenir advient… Cet avenir est moins intolérable que ce présent qui semble interminable, inépuisable. Puisque le propre du patient c’est d’habiter cette futurité qui rendrait tout présent scandaleux. En ce sens la patience est la misère du présent ; un présent qui a la vie dure, un présent-blocage. La patience étant toujours patience d’heur. Au contraire du bonheur, le malheur n’est jamais attendu. Dans le malheur, une inversion de la relation à la futurité et au présent s’opère où le présent est posé dans un désir d’éternité fourmillant au détriment d’un avenir, porteur de malheur. On n’attend pas le malheur, il arrive malgré tout, malgré notre souhait. La patience s’élabore dans une ouverture où l’imagination envahissant cette futurité envahit le patient d’une espérance qui est déjà, à sa manière, expérience vécue. En tant qu’elle est cette expérience que la patience est une intentionnalité décentrée… L’imagination représente à côté de la relation au temps : présent et futurité, l’autre élément constitutif de la patience. Par l’imagination ce qui se trouve mobilisé c’est le passé et le « possible ». Passé et possible, qu’est-ce à dire ? Quel lien est-il susceptible d’établir entre passé et possible ? Nous manquerions un pan de l’expérience de la patience si nous avons écarté la dimension temporelle qu’est le passé. Mais, le passé ici gagne une réputation qui surprend. Il s’agit du passé en tant que temps du possible. Bergson a bien compris que le possible étant une catégorie temporelle, car l’événement possible se produit dans le temps. Mais quand est-il pertinent de penser l’effectuation du possible ? Quand le possible est-il possible ? Nous posons à tort le possible comme une catégorie de la futurité en ce sens que le possible n’étant pas encore s’inscrit en conséquence dans l’avènement dans la catégorie du n’est pas encore. Posant le possible par ce geste, c’est sa condition de possibilité qui est écartée. Au nom de quoi quelque chose est-il possible sinon au regard de ce qu’on a déjà vécu. Le possible est un jugement qui synthétise deux ordres de temporalité. C’est la raison qu’explique notre intérêt à l’arranger auprès de la vigilance. Le possible est le temps de la vigilance. Le possible, donc, est une synthèse ouverte du passé et du futur. Le futur en tant qu’il est jugé ou attendu à partir des acquis du passé. Nous rencontrons l’apport de l’imagination au niveau de cette synthèse. Dans les deux cas, l’imagination joue tout son talent pour nous donner des formes d’être paradoxales : le passé aussi bien que le futur sont construits. La différence est dans ce fait que le passé est re-construit et le futur construit, mais construit d’une construction et d’une reconstruction. Du présent comme construction, du passé comme reconstruction. Toutefois, le mode de construction du futur est distinct de celui du présent. Le présent bénéficie d’une réalité vérifiable à bien des égards. Là où l’imagination s’exécute sans partage, c'est dans le passé et le futur où la réalité absente cède son être à sa reconstitution imaginationnelle. Le possible est justement dans le cas du futur, mais non d’un futur détaché du passé, cette reconstruction imaginationnelle. Le patient est patient du possible de ce qui est possible d’arriver. Résumons : la patience est une expérience du temps marquée par le présent refusé parce qu’il est trop long, au profit d’un futur prometteur, mais prometteur en tant qu’il porte certains vestiges du passé. Cependant, malgré cette tridimensionnalité du temps retrouvée dans l’expérience patiente, seul le futur occupe une place constitutive. La patience s’exhibe dans une intentionnalité portant la marque du futur. Attendre, que ce soit au présent ou futur, insère l’intentionnalité ouverte dans une effectivité prochaine. Effectivité de celui qui doit venir… Cette ouverture, elle n’est pas gratuite. La patience se refuse à être pur fantasme, à être rêverie. Cela, nous venons de l’esquisser en montrant que la patience, dans sa relation au possible, intègre une dimension du passé et du présent dans son jugement. Même quand ce possible ne justifie pas l’aspect superflu ou farfelu de certains moments du jugement ou de l’acte patient. Par ailleurs, la patience encore une fois en s’articulant sur la passé et le présent établit son futur dans certaine prévisibilité. A ce niveau, elle se démarque de la rêverie. Donc, la patience est la patience du temps. En tant qu’elle est patience du temps, elle porte une part d’émotion, de souffrance. La patience est la souffrance. C’est uniquement sur ce point interne de la souffrance qu’on peut fonder une patience comme espérance. Mais surtout expliciter ce que nous avons dit du refus du présent. La patience est présence. Mais une présence qui n’est pas encore, qui tarde à venir. Le retard, étant promesse de la fin de la souffrance crée souffrance et endurance. Souffrance de la souffrance à supporter en vue de laisser passer le temps. Endurance, puisque cette souffrance sera compensée, peut-être, par un supplément d’être. En revanche, la patience recouvre la constance dans cette endurance qu’elle est appelée à se donner si toutefois, elle veut être récompensée. En aucune manière, elle n’est pas réductible à la constance, non plus n’est pas fondée par elle. Elle s’en sert pour mieux se définir, mieux se réaliser.

La confusion de la patience et de la constance est à cette charnière. Charnière que nous comprendrons mieux quand nous ferons ressortir par où la constance se sert de la patience sans s’y réduire. Car le constant risque de s’enfermer dans une sorte de sadisme inoffensif s’il n’est pas soutenu par une patience, par l’espérance. Mais l’espérance qui doit faire attendre ce surplus d’être qu’on s’apporte à soi-même, dans son effort de s’améliorer, de se soucier de soi. Dans la patience ce souci est aussi présent, souci de soi médié par l’autre, par le temps dans son flux reconstitué après-coup.

 

 

 

De la constance

 

La constance est une relation à soi. Le constant tient à privilégier un rapport à soi où tous les autres viennent à se greffer. L’intelligibilité de la constance est à rendre au tour de ce noyau qu’est le soi autour duquel tout pivote. D’abord, une remarque s’impose : ce qui travaille dans l’expérience de la constance c’est un désir de perfection, un souci où le soi devient l’objet parfaire. Donc, dans l’économie de la constance quelque chose de l’ordre des valeurs est donnée ou posée. Valeur qui justifie la constance.

Le constant est un introverti. Sa motivation consiste à réaliser un mode d’être idéal à partir de lui-même, dans une véritable fermeture par rapport à tout ce qui ne permet de ce parachèvement de soi, cette adéquation du soi et de ce que le soi veut réaliser. Dans ce geste, nous pouvons saisir la manifestation d’une attention à soi. L’attente contrairement à la place fondamentale qu’elle occupe dans l’expérience de la patience, n’est ici qu’une expérience secondaire. A sa place, l’attention, l’attention à soi, joue le rôle primordial. Deux éléments constituent l’expérience de la constance. Tous deux attribuent à l’attention des prérogatives incontestables : l’attention à soi et l’attention à l’idéal de soi. Le temps n’est constitutif qu'en ce sens qu’il est introduit comme facteur incontournable dans la réalisation de soi. Si le temps, il est là, nous le trouvons dans un arrière-plan qui lui enlève toute sa dynamique participante. Il est impossible de nier son utilité. Ce n’est qu’une utilité serve, asservie au profit d’une cause plus fondatrice ou fondamentale. Toutefois, ce que l’attente et le temps ont gagné dans l’expérience de la patience et qu’ils perdent ici, est accordé à ce jugement éthique de la perfection, du rapprochement à ce rêve d’homme vertueux. Par cela, la constance fonctionne comme tarière qui s’enfonce davantage au plus profond de l’être du constant qu’il importe de déblayer de tout résidus passionnels. Et nous pensons que la constance peut être vue comme un type d’hygiène de l’âme. Elle est une fournaise dont la fonction purificatrice doit faire venir le constant dans sa constance irréprochable. Attention sur soi, motivée par un jugement moral de perfection….

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commentaires

C
Une lecture critique de «Fragment sur la Patience et la Constance» d’Edelyn Dorismond<br /> On connaît la capacité de notre ami à déclencher le vol de la pensée, comme si le déploiement de toute pensée était à l’état latent, toujours en mouvement interne tout en cherchant un support<br /> externe. Cependant, il est parfois bon de ralentir son vol, en vue de questionner sa consistance et son socle pour mieux le pousser jusqu’à son déploiement où il s’épuiserait dans une<br /> situation-limite, mais toujours possible, car faisant partie du champ du vécu humain.<br /> Dans ce qui suit, nous mettrons à l’épreuve sa «phénoménologie de la patience». Entre ce qu’il dit sur la «constance» comme «travail de soi sur soi» et la patience, nous instituons un sujet<br /> invisible pour mieux voir jusqu’où «la patience est toujours patience d’heur», comme il l’affirme.<br /> A vous lire, je me demande comment serait-il possible de saisir le sujet invisible tel qu'il est présenté à toute conscience critique et malheureuse par Ralph Ellison dans son roman de 600 pages<br /> publié en 1952 sous le titre évocateur de Invisible man. En lisant ce roman avec patience du début à la fin, on ne peut s'empêcher de se demander à quel point il lui serait possible de créer une<br /> zone d'attente qui protégerait son moi intime tout en sachant qu'il est invisible du fait même de son absolue visibilité. Pris dans le vertige du temps comme temps surplombant et destructeur, il ne<br /> peut faire l’expérience en fin de compte que toute altérité est trahie par la logique instituée conformément au régime d’invisibilité et selon lequel le sujet pourrait se demander s'il n'est pas un<br /> pantin de l'histoire sur laquelle il est quasiment impossible d'inscrire son nom. Ainsi la lutte devient une lutte contre son propre moi empoisonné et emprisonné par la logique globale de la<br /> société. Se libérer risque de devenir donc une gageure.<br /> En lisant Ellison, il faut bien poser / se poser la question suivante: jusqu'où la relation à soi est-elle possible en tant qu’elle est constamment fissurée au risque de miner pour ainsi dire,<br /> l’estime de soi? Comment parler de la «constance » en vos termes : «La constance est une relation à soi. Le constant tient à privilégier un rapport à soi où tous les autres viennent à se greffer »,<br /> en tenant compte de telles expériences de domination et de mépris. Comment éviter donc de devenir invisible à soi-même? Quoique l’homme invisible soit défini de prime abord par rapport aux autres,<br /> car il est intégré dans l’univers discursif et normatif caractérisant le mouvement de la société qui le tue par « une sorte de mort sans pendaison, une mort vivante», (Ellison, 1969 : 600) son<br /> invisibilité ne peut être que le produit d’un imaginaire sécrété par un mécanisme spécifique. Ainsi peut-on lire dès le prologue : «je suis un homme qu’on ne voit pas […] Je suis invisible,<br /> comprenez bien simplement parce que les gens refusent de me voir. Quand ils s’approchent de moi, les gens ne voient que mon environnement, eux-mêmes, ou des fantasmes de leur imagination -en fait,<br /> tout et n’importe quoi, sauf moi. »(Ibid. :35) Dans cette quête de soi contre les invisibilités, il faut dire justement que l'invisibilité devient un lourd fardeau à porter en mettant le sujet hors<br /> de l'histoire, du moins telle qu'elle est faite et imposée en tant qu'histoire des vainqueurs. Étant « en dehors du temps historique » (Ibid. :471), le noir devient dans cette société américaine<br /> encore empêtrée dans l'esclavage, un mort absolu, ce qui n'est pas sans lien avec ce que dit Arendt sur la désolation. Toute sa conquête devient celle d’une exigence en vue d’inscrire l’égalité<br /> dans les comptes, dans un langage ranciérien, je dirais, pour réclamer «le compte des incomptés ». Néanmoins, elle doit être substantiellement liée à un effort de libération intérieure pour mieux<br /> déplacer cet imaginaire en le rendant moins consistant, bref attaquer le socle sur lequel il s’enracine. Mais comment ?<br /> Si toute vie, tout rapport à soi se déploie dans une temporalité, il est aussi vrai que le sujet peut subir la violence extrême de cette dernière, mais comment échapper au poids du temps ? Ou<br /> comment donc le subir ? Si comme vous le dites : « Le patient est celui qui subit le temps qui, en voulant satisfaire Lamartine, semble suspendre son vol, mais pour déposer dans l’attente du<br /> patient un poids, des fois, vécu dans l’intolérable attente de quelque chose qui devait arriver, qui est déjà en retard dans son a-vénementialité» , mais cela est-il possible lorsqu’il est hors du<br /> temps historique, lorsque sa vie est épuisée dans l’a-temporalité qui serait la loi même de son existence ? Que faire, comment agir ou disons jusqu’où peut-il agir ?, sachant que toute action est<br /> travaillée par une altérité, lorsque l’invisibilité est imposée comme la loi de partage du monde.<br /> Dans le passage qui suit, l’auteur semble nous donner un tuyau pour déplacer la question sur le rapport entre constance et patience, afin de mieux montrer à quel point le sujet est pris dans un<br /> temps historique vertigineux. Conscient de l'invisibilité, Ellison (qui est lui-même un Noir) fait faire au personnage principal (et anonyme), le héros partant vers la conquête de la visibilité<br /> comme tentative constante d'inscription de sa présence au monde, non pas comme une présence muette, mais parlante, critique et revendicative en créant l’ouverture du champ des possibles, une<br /> critique radicale sur l’écriture même de l’histoire et son rapport avec l’individu-invisible. En parlant des invisibles il dit ce qui suit: «oiseaux de passage trop obscurs pour la classification<br /> savante, trop silencieux pour les appareils enregistreurs des sons les plus sensibles; de nature trop ambigüe pour les mots les plus aigus et trop éloignés des centres des décisions historiques, ou<br /> même applaudir à la signature des documents historiques ? Nous qui n’avons pas écrit de romans, pas d’histoire ni aucun livre. Que dire de nous ? » (p. 470)<br /> Avec bien sûr des différences, nous pourrions dire que ce «nous » dans une certaine mesure renverrait aujourd’hui à la réalité des sociétés «post esclavagistes» héritant (adoptant ?) l’imaginaire<br /> colonial avant de pérenniser sous d’autres formes les rapports coloniaux. Ainsi comment parler du paysan-populaire dans une société où la paysannerie est perçue comme une identité qui ferait partie<br /> de l’héritage patrimonial transmissible de père en fils, tout en sachant que sa vie s’épuise dans son pacte éternel avec la terre en travaillant au profit d’un État exterminateur et d’une société<br /> au sein de laquelle sa place est définie avant même sa naissance?<br /> Cette lecture qui se veut critique s’inscrit dans l’attention portée aux écrits de l’auteur. Si elle déborde dans une certaine mesure le cadre du texte qu’elle prend pour objet tout en conservant<br /> son fond, elle n’est pas toutefois sans lien avec ses questions sous-jacentes et les conversations antérieures. Les questions posées ici ne constituent qu’une invitation à déplacer le regard vers<br /> d’autres cernes. C’est une façon de dire que je me les pose aussi.<br /> <br /> CAMILUS, Adler
Répondre
E
<br /> <br /> Merci encore une fois pour tes remarques pertinentes.<br /> <br /> <br /> <br />

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